Le Dire



Le mystère du « trou »

Dans la campagne, les puits représentaient un danger. Nos grands-mères parlaient de « la Vieille » tapis au fond du puits qui attrapait les enfants qui s’en approchaient de trop près. En Dordogne, terre de maquis, une autre menace guettait : la grotte menant au labyrinthe ou cluzeau taillé dans la roche. Partout, dans les bois, ou à l’orée des clairières, des « trous » pouvant abrités hommes et animaux sont disséminés, cachés, encore inconnus parfois. Heureusement, les paysans connaissaient leurs terres et leurs bois. Et la nouvelle d’un danger se répandait vite. C’est comme ça, qu’au siècle dernier, de la mémoire de nos vieux, dans la dernière montée du hameau de Saint Pardoux de Feix (le petit Saint-Pardoux) menant à l’église, les sabots de la jument de la ferme résonnaient sur la route. Il se disait alors, que le « trou » comme on l’appelait, en contrebas, était l’entrée d’un labyrinthe menant jusqu’au bois de la Garenne qui surplombe l’abbaye Saint-Pierre de Brantôme. Aujourd’hui, après avoir longé le couloir étroit de roches qui mène au « trou », et passé l’ouverture, un éboulis de pierres et de boue s’est formé sur le côté gauche, y obstruant certainement l’entrée...


Légendes et contes

La grotte de sainte Mondane




Allez, je me lance, je vais raconter une triste et bien banale histoire, celle de cette grotte, près du château où un certain Fénelon a vécu et écrivit Télémaque et où il a certainement rêvé de voyage en regardant glisser l’eau verte de la Dordogne, juste là au pied des rochers et des arbres dont les racines sortent de l’eau, près des moustiques amphibies et des barques plates qui semblent prendre plaisir à se laisser saisir par l’eau dans la paix et la douceur. Ce calme qui incite à la méditation explique l’amour pour ce lieu de saint Sacerdos, le futur patron de Sarlat qui s’y réfugiait pour rêver.

Au XIIe, un certain seigneur de Fénelon avait une femme nommait giselle. Elle se languissait de ses voyages, de ses charges diverses. Un beau jour, elle se dit, en le voyant près d’elle, que peut-être le beau page Guy de Castelnaud méritait mieux que son état de simple serviteur. Le temps joua son rôle. Le printemps se construit printemps après printemps et l’amour aussi et c’est la grotte de sainte Mondane qui servit de lieu à cette alchimie à laquelle nul n’est préparé et que chacun pourtant se montre si dispos à recevoir le temps venu.

Ce Fénelon-là n’avait, selon la chronique, rien à voir avec l’évêque, sauf qu’il fréquentait beaucoup à Sarlat les tavernes, les lieux de mauvaise vie et les maisons des demoiselles. Là il chantait des chansons qui ne devaient rien à la liturgie des monastères, buvait du bon vin venu des coteaux de Monpazier et rentrait parfois à l’aubeà l’heure où chante le rossignol. Il n’avait pas la prétention d’écouter ce chant pur et azuré ; la plupart du temps il était de fort mauvaise humeur et aurait bien volontiers plongé sa dague dans le cœur de son cheval, tant était grande sa rage intérieure.

Un matin, en passant près de la grotte de sainte Mondane, il entendit une autre sorte de gazouillis, des chuchotements et même des plaintes et des soupirs. L’esprit soudain en alerte, et dans l’espérance d’une agréable rencontre, il s’approcha du lieu qu’il aimait tant saint sacerdos ; quelle ne fut pas sa stupeur de trouver sa Giselle dans les bras du page de Castelnaud. La colère fit remonter toute son ivresse et il n’eut aucn mal à poignarder le page. Le forfait accompli, restait à décider ce qu’il allait faire de sa femme. Il hésitait encore, au moment où il glissa sur un rocher, pour tomber tout droit dans la Dordogne où il se noya.

Seule Giselle vivait encore, lorsque chanta le rossignol ; elle savait que tout était terminé pour elle. Non loin de là était une barque attachée à un ormeau. Elle y plaça Guy de castelnaud et s’assit à côté de lui, et se laissa glisser au fil du courant dans l’eau pleine et tendre de la belle rivière.

On vit passer la barque de giselle et de Guy au milieu de l’eau, évitant les rochers, les bancs de sable, les îlots, défiant les brumes et les courants. Elle allait lentement, telle la barque royale désirant être vue et adorée. On ne sait quand Giselle rejoignit Guy dans l’autre monde, toujours est-il que les mariniers prirent plaisir à suivre cette barque et à lui faire cortège. Ils passèrent au pied de citadelles, de places fortes ou de simples villages de gabarriers, tandis que de nouvelles barques venaient se joindre sur l’eau de plus en plus miroitante pour rendre un hommage aux deux amants.

Un soir l’orage gronda. Un mauvais courant poussa la barque sur le sable et aussitôt o, creusa une tombe et l’on y mit Giselle et son page. L’histoire est-elle finie ? eh bien non. Le mauvais sire de Fénelon, transformé en fantôme, ne l’entendait pas de cette façon. Il occupa la grotte de sainte Mondane, la mère de saint Sacerdos. Il y grondait, menaçait, jurait et menait un tel tapage que les gens du village furent assurés que la grotte était maudite. Ils firent tant et tant de prières qu’au printemps, et cela se renouvelle à tous les printemps, une barque remonte au fil de la Dordogne et vient accoster entre les ormeaux. Deux silhouettes en descendent, tout habillées, de blanc et viennent supplier le mauvais sire de se taire, de ne plus rugir, de ne plus jurer mais sans succès car, nous dit l’un des spécialistes de ces étranges histoires, Marcel Secondat, « sans sépulture, le mauvais sire de Fénelon erre depuis des siècles au bord des eaux vertes ».

La dame de Limeuil



Si vous avez de la chance, les soirs d'été vous pouvez surprendre une dme blanche allant et venant à l’endroit même où La Vézère et la Dordogne mêlent leurs eaux. Si vous vous approchez d’elle, elle vous sourira et vous verrez que son visage est fin, son regard, malré l’éloignement, doux et franc. Vous lui direz :
- Noble dame, qui êtes-vous ? que faites-vous là ?
Elle ne vous répondra pas. Son sourire s’accentuera et elle haussera les épaules comme pour exprimer la lassitude.
- Etes-vous la gardienne d’un trésor ?
Même signe, même réponse. Elle ne dit ni oui ni non, elle est simplement heureuse de se promener sur le sable et d’avoir de la compagnie. L’endroit, il est vrai, est magique. Les eaux calmes et d’un vert profond de la Dordogne sont uninstant troublées par le eaux brunes ou ocres de La Vézère. C’est juste un friselis à la lumière lunaire, un sillage de canards dans l’ombre des grands arbres qui s’abreuvent à cette jouvence.
-Est-ce à moi que vous allez dire le grand secret ? La Dame blanche rit franchement, mais tout de suite après elle vous regarde avec attention. Elle cherche quelque chose sur votre visage, entre les lèvres et les yeux, et elle ne le trouve pas. Vous ne serez pas l’élu, mais sait-on jamais ? Vous dîtes :
-Un de mes amis pêcheurs a trouvé plusieurs brochets dans un trou creusé de main d’homme dans un rocher qui ressemble à un clocher. Est-ce là ? elle ne répond pas, mais elle ne veut pas non plus décevoir votre curiosité et c’est elle qui dit :
- Du temps des Anglais, il y avait un château. Un nid d’aigle bien fier et c’est là que le seigneur cachait le fruit de ses rapines. C’était une époque bien tourmentée, soupire la dame Blanche. Elle s’arrête, vous tourne le dos et regarde l’eau qui s’écoule toujours avec le même friselis, rêve et soupire. Vous lui demandez en quoi consiste ce trésor. Des diamants, des pièces d’or, de quoi emplir plusieurs peaux de boucs des colliers mais aussi des tissus venus d’Orient, de l’ivoire venu d’Afrique… Elle parle de toutes ces richesses avec détachement, mais vous pensez en la regardant qu’elle semble bien connaître le détail de ce trésor. Vous dîtes d’une toute petite voix :
-Montrez-moi ce trésor, je vous prie. Elle éclate de rire. Elle se secoue comme un canard qui sort de l’eau. Elle semble soudain très jeune et presque joyeuse. Comme elle va et vient devant vous et devant l’eau des deux rivières, vous avez envie qu’elle se pose. Ce serait peut-être un instant de plus de vérité. Vous lui dîtes :
-Dame Blanche, vous pouvez vous asseoir près de moi. Ce serait plus simple pour parler. Elle rit, toujours insouciante et c’est agréable d’entendre ce rire qui se marie si bien avec les gouttelettes d’eau, mais elle continue son manège. Elle sait très bien ce qu’elle dira ou ce qu’elle ne dira pas. Au bout d’un certain temps, elle fait un geste brusque. Elle vous dit :
- Venez avec moi, et elle marche devant sans s’occuper de celui qui la suit et qui observe d’une façon passionnée sa silhouette. Elle sautille sur les herbes, traverse des buissons que vous devez contourner, passe par-dessus des rochers moussus. Elle se met à chanter une chanson ancienne et langoureuse, puis elle s’arrête, dressée devant la paroi toute lisse qu’éclaire justement la lune et elle montre du doigt u endroit qui n’existe pas, puisque la lumière est étale et qu’il n’y a pas la moindre anfractuosité.
– Là, dit-elle et elle éclate à nouveau de rire.

Vous avez beau lui dire que vous ne voyez rien, qu’il n’y a pas la porte rouge et les inscriptions en anglais dont parlent les livres, elle ne vous écoute plus et lentement elle se retire, simple petit nuage tourbillonnant de brume et s’en va se perdre sur la Dordogne.

La chasse et le troubadour


C’était un matin d’hiver. Le brouillard traînait dans les creux et coupait en deux un peuplier, une maison, la tour ronde d’un château. Le soleil en surgissant derrière la colline collait sa couleur dorée aux écorces et aux pierres, tout en épaississant l’écume blanche. Deux mondes alors entraient en lutte : celui de la lumière et celui des fonds de ruisseau, des bords des rivière, des coins humides et noirs près des moulins où croissait une végétation épaisses et malsaine.
Le troubadour aimait cet instant et, seul sur le chemin, il chantait à pleine voix. Un rossignol d’arbre en arbre semblait lui répondre.
Il avait rendez-vous au château des Milandes dont il voyait au loin les toits de Lauzes. La beauté de ce pays était sans pareille et le troubadour la goûtait intensément. Il avait aussi le pressentiment qu’un évènement important allait se produire. Sa sensibilité était extrême et son attention aussi. Allait-il tomber tout droit dans un guet-apens ? Etre dévoré par des loups ? rançonné par des brigands ? Il continua pourtant à chanter tout en s’approchant de la Dordogne. Le brouillard un instant brouilla tout. Il était temps peut-être d’alerter un passeur ou de chercher un refuge.
Un léger coup de vent nettoya la surface du fleuve.
La Dordogne était devenue très sombre, profonde comme un  joyau, frémissante comme une peau.
Un bruit naquit au loin et s’amplifia rapidement. Il semblait venir de toute part et l’écho le renvoyait sans cesse contre des falaises qu’il ne pouvait pas voir. Insensiblement le brouillard s’effaça.

Le « bruit » se transforma en un mélange de musique, de paroles, de hennissements de chevaux, de rires. Le troubadour n’eut pas de mal à les identifier : la musique était celle de violons, de fifres et de tambourins ; les rires, ceux de femmes que l’on amuse. Il y avait aussi des abois de chiens. Le seigneur de la Roque-Gageac, sans aucun doute, faisait sa promenade matinale et il avait emmené avec lui toute sa maisonnée qui s’émerveillait des jeux de brouillard et des éclats de lumière.

Cette rumeur se déplaçait entre les peupliers, les frênes et les lianes pelucheuses des clématites.
Soudain le troubadour vit apparaître un cheval blanc. L’homme qu’il portait était grand et avait un long manteau de fourrure. Il s’arrêta près de l’eau, sembla hésiter. Il parla fort par-dessus son épaule, comme s’il demandait conseil.  Plusieurs autres chevaux vinrent près de lui. Il y avait là  des dames et des serviteurs aux manteaux colorés. Des chevaux noirs ou pie envahissaient maintenant la rive. On discutait, on évaluait et l’on était pas d’accord. Il y avait aussi beaucoup de plaisanteries.

D’où était-il, le troubadour ne pouvait savoir de qui il s’agissait. Peut-être le roi de France ou le duc d’Aquitaine étaient-ils en promenade dans le pays. Cette foule joyeuse et ondoyante donnait une impression de bonheur et de sérénité.
L’homme au manteau de fourrure lança enfin le signal et les chevaux s’élevèrent au-dessus de la Dordogne, glissant parfois sur l’eau, en y traçant des sillages. Les gouttelettes jaillissaient et le soleil un instant faisait croire à des perles. Les musiques se multiplièrent, entraînantes et joyeuses et la troupe se rapprocha de l’endroit où se tenait, comme fasciné, le troubadour.

Il y avait là des seigneurs et parmi eux il reconnut ceux de Mareuil, immédiatement suivis par le troubadour Arnaut de Mareuil au talent incomparable et dont la renommée s’étendait jusqu’à la cour des comtes de Toulouse et du Roi d’Aragon, mais il devait aussi y avoir des seigneurs de Limeuil, de Montfort, d’Hautefort. Le troubadours les voyait maintenant distinctement alors qu’ils survolaient l’eau ; les danseurs, des mimes et des acrobates les précédaient, jouaient sur l’échine des chevaux. Le troubadour reconnaissait des visages, entendait des voix connues. Tout ce monde s’amusait follement à traverser ainsi la Dordogne et des jeunes gens plongèrent comme des canards sous les applaudissements des dames.
Combien de temps dura cet étrange passage ? Le troubadour ne le sut jamais. Il resta là à voir défiler toute cette beauté et cette richesse, incapable de comprendre de quoi il s’agissait. Etait-ce un rêve, ou bien une chasse volante ? Mais chevaliers, dame set écuyers n’avaient pas du tout l’air d’être maudits. Ils resplendissaient de santé, de bonheur.

Tous étaient presque passés sur l’autre rive et se dirigeaient vers le château des Milandes. Il n’y avait que des retardataires et de jolies dames un peu dévêtues qui rejoignaient le gros de la troupe avec leurs amants.
- Et toi, joli troubadour, ne veux-tu pas venir avec nous ? dit une voix charmeuse.
Le troubadour pinça sa viole et en une seule note répondit par un joli « non ». Bientôt un lourd manteau de brume retomba sur le fleuve et quelques canards un moment dérangés reprirent leurs propres danses.

Contes de Dordogne de Michel Cosem chez Fanlac