Les Lettres

Portrait de Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme. Anonyme, école française du XVIe siècle

Brantôme, connu et méconnu

Brantôme est un auteur mal connu, pour n’être reconnu que pour le second volume du recueil des Dames, qui lui a valu injustement mauvaise réputation. Au XVIIe siècle le terme « galantes » n’avait pas la même signification qu’aujourd’hui. Il désignait des dames de bonne compagnie, élégantes et gracieuses. Les Dames galantes. C’est son premier éditeur Sambix qui les appelées ainsi à des fins publicitaires. L’ouvrage a été réédité jusqu’au XXe siècle une quarantaine de fois. Le reste de ses œuvres est passé inaperçu, pourtant présentant la plus importante galerie de portraits d’hommes et de femmes de cette époque : Les Rodomontades espagnoles, Les Dames (dites illustres), les Vies des grands capitaines étrangers et français, le Traité sur les duels, le Discours sur les coronels (colonels) de l’infanterie, Aucunes retraites de guerre. Il livre un précieux témoignage sur les moeurs et les mentalités des nobles hérités de la féodalité médiévale.

De son vrai nom Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme fut aussi un homme de la Renaissance. Ouvert et tolérant, il n’a jamais appartenu à l’Eglise. Il fut pourvu, très jeune d’une abbaye dont il touchait les bénéfices, comme privilège octroyé couramment aux aristocrates même laïques. C’est un noble, descendant d’une vielle famille illustre du Périgord (une des quatre baronnies). Né sous François Ier et mort sous Louis XIII, il fut homme d’épée, durant la première partie de sa vie, répondant à l’idéal de chevalerie comme tous les nobles. Il voyagea en Europe, d’Italie en Ecosse, d’Espagne au Portugal, à Malte et même au Maroc. Il assista à de nombreux duels, participa à des croisades, aux guerres de Religion. Il rencontra et côtoya les plus grands, Marie Stuart, la reine Elisabeth d’Angleterre, Monluc, les Guise, Henri de Navarre, le futur Henri IV, Coligny, et la Noue, Marguerite, reine de Navarre, la cour des Valois. Courtisan cultivé et poète, il était ami de Ronsard et a fréquenté Catherine de Médicis. Soldat en quête d’aventures, il guerroya pendant dix ans à la recherche de la gloire, en vain.

C’est la deuxième partie de sa vie où il devint écrivain qui le lui apporta. Sa rupture avec Henri III et un accident de cheval le rendant infirme, il se retire en Périgord, où il fit bâtir le château de Richemont. Pendant trente ans Brantôme rédige son oeuvre. Il dépeint les représentants de la noblesse attachée à l’idéal chevaleresque et l’Homme nouveau de la Renaissance. Des milliers de pages, qui laissent entrevoir, la philosophie du seigneur de Brantôme.

MB
Source : Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme de Madeleine Lazard chez Fayard



Arnaut de Mareuil et son « salut d’Amour »

Arnaut de Mareuil embrassa la carrière de troubadour, de 1171 à 1190, du Périgord au Quercy. Né à Mareuil-sur-Belle vers 1150, au château il n’était pour autant pas noble. Il dut rejoindre la cour du vicomte de Béziers et de Carcassonne, Roger II, dit Taillefer pour vivre de son Art. Eprit de la femme de celui-ci, Adélaïde (Azalaïs) de Burlatz, fille de Raymond V de Toulouse, il inventa une chanson « la franca captenença » (la noble attitude) dans laquelle il lui déclarait son amour. Il fut chassé par son rival, le troubadour Alphonse II le libéral, roi d’Argon, et trouva refuge à la cour de Guillaume VIII de Montpellier. Pour tout bagage, il avait vingt-cinq chansons, cinq « Saluts » et un petit poème didactique (ou « Ensenhamen »). Ces chansons présentaient rarement des pensées originales et des images nouvelles, mais des sentiments délicats, exprimés en un style clair et harmonieux. Arnaut de Mareuil est l’inventeur et maître dans le genre : le « Salut d’amour » (une épître adressée à sa Dame par l’amant courtois).

Les troubadours pour parler d’Amour

Le chant des troubadours en langue d’Oc fit son apparition au milieu du XIIe siècle dans le Périgord et le sud de la France. Ce nouveau mouvement littéraire et d’Art lyrique donnait lieu à des performances artistiques. Il racontait, déclamait en tropes (vers) et en musique dans les cours seigneuriales et royales, de nouvelles pratiques sociales et culturelles, de par la même, une forme poétique avec comme objet, l’Amour moteur existentiel. Tout le long des XIIe et XIIIe siècles fut ainsi cultivé un nouveau rapport de l’homme au monde (prémices de la Renaissance).

Les origines des troubadours
D’après Dante Alighieri (1265 1321) la littérature en « langue vulgaire » a été inventée pour parler d’amour (per dire d’amore). Il s’agit de l’amour extraconjugal. Le sentiment amoureux trouve sa raison d’être dans le désir inassouvi. La femme mariée est courtisée par un homme d’un rang social moindre. L’apparition de la poésie lyrique en Aquitaine, dans le Limousin et donc en Périgord, tiendrait à plusieurs hypothèses : une origine populaire, l’influence de la poésie amoureuse arabo-andalouse (zajal) des IX et Xe siècles, un lien étroit avec le chant liturgique (trope) de l’Eglise chrétienne, la sociabilité méridionale, ou les bouleversements consécutifs au mariage, le 18 mai 1152, d’Aliénor d’Aquitaine (divorcée de son premier époux, Louis VII, roi de France, le 21 mars précédent) et d’Henri II Plantagenêt, qui accéda au trône d’Angleterre, en 1154. 
Les troubadours relevés de différentes classes sociales. Certains, amateurs, composaient par passe-temps (monarques, seigneurs), d’autres, professionnels, vivaient de leurs compositions ou représentations. Les troubadours étaient attachés à une cour (souvent itinérante et cosmopolite, une assemblée autour d’un personnage, un lieu de résidence ou un endroit où on se retrouvait pour un évènement) et surtout, à un protecteur souvent un grand seigneur. Les jongleurs, eux, itinérants, voyageaient de région en région trouvant logis et couvert dans les résidences seigneuriales. Ils se produisaient à la campagne durant les foires. Ils interprétaient les chansons des troubadours.

Etymologiquement Troubadours (trobadors) ou jongleurs (jongladors). 
L’étymologie occitane admet que le troubadour (de troba) est celui qui trouve (créé) et le jongleur (joglar du latin jocularis ) veut dire plaisan ou badin, interprète la composition. Le jongleur ne créé pas. Il regroupait toutes sortes d’artistes, chanteur, causeurs de cour, acrobates, instrumentiste, joueur de vièle. Parfois le troubadour et le jongleur ne faisait qu’un.

Selon les vidas
D’après Les vidas (notices biographiques dont il reste cent un exemplaires) ou razos (commentaires circonstanciels de textes poétiques : cent-vingt-quatre) rédigés aux XIIIe et XIVe siècle par divers auteurs anonymes, (deux seulement se sont nommés : Uc de Saint-Circ et Miguel de la Tor), les troubadours périgourdins (originaires du Périgord et une partie du Limousin et du Quercy) ont été identifiés à ce jour, mais la liste pourrait être plus longue, si nous connaissions avec certitude le lieu d’origine de tous les troubadours dont le nom s’est conservé, ainsi que tous les auteurs des milliers de pièces lyriques en occitan des XIIe et XIIIe siècle. Alfred Jean Roy en a publié une liste de quatre cent soixante et un troubadours en incluant les poètes catalans et italiens. La liste des périgourdins, une centaine identifiée, est la plus riche.

La poésie lyrique occitane
Les spécialistes des troubadours divisèrent la poésie lyrique occitane du XIIe siècle, le trobar (une création qui portait sur l’image et la rime) en trois grands styles : le trobar lèu « simple » d’une versification simple et d’un contenu transparent accessible à tous, le trobar clus (« clos ») hermétique avec une écriture énigmatique et dont le message était obscur avec un mélange de vocabulaire pour un public raffiné, le style intermédiaire le trobar ric (riche) plus limpide et aimable. Le noyau périgordin, Giraud de Borneil, Arnaut Daniel, Arnaud de Mareuil et Bertran de Born fut le foyer où s’affirma des vers des plus savants et dont la déroutante lecture frôlait l’espièglerie et l’humour propre à cette région. La lecture laisse apparaître deux composantes de la représentation du discours amoureux : l’imitation et l’invention, car il ne saurait y avoir de séduction sans code, ni de sentiments authentiques sans une parole chaque fois renouvelée.


MB


Source : L’âge d’or de la langue d’Oc / Les troubadours Périgourdins de Guy Penaud aux éditions La Lauze